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Histoire

  • Il y a 100 ans ... la retraite à 60 ans !

    Eh oui, au moment où l'âge de la retraite est repoussé à 62 ans, qui se souvient qu'il y a 100 ans jour pour jour, les travailleurs pouvaient partir à 60 ans ?

    En effet l’âge auquel on peut faire valoir ses droits à la retraite a varié à plusieurs reprises depuis qu’il existe une législation concernant les "retraites ouvrières".

     

    La loi du 18 juin 1850 avait créé une caisse des retraites pour la vieillesse (qui deviendra avec les lois de 1884 et 1886 la Caisse nationale des retraites), à laquelle l'adhésion était "volontaire, spontanée et libre" donc facultatif. Le cotisant pouvait prendre sa retraite à sa guise à partir de cinquante ans, la rente qui lui était versée étant proportionnelle aux versements qu’il avait accomplis. Il n'y avait pas d’âge maximum au delà duquel le travailleur avait l'obligation de partir, du moins jusqu'à la loi du 20 juillet 1886 où le maximum fut alors fixé à 65 ans. C’était la première loi (capitalisation) qui concernait les salariés du secteur privé. Les ouvriers, aux capacités d’épargne limitées, n’y souscriront guère ...

    Envisagé à partir de 1880, le principe des retraites ouvrières et paysannes (ROP) ne commence à être débattu véritablement que 10 ans plus tard. Avec l'entrée d'Alexandre Millerand dans le cabinet Waldeck-Rousseau en 1899, l'état s'implique dans ce dossier et soutient le projet du 14 mai 1901 de Paul Guieysse pour une Caisse nationale de retraite ouvrière inspirée de celle des mineurs. Il veut mettre en place un système plus efficace que les caisses de secours qui mécontentent tout le monde et dont l’équilibre financier est toujours incertain. Ils prétend, au nom de la laïcité, combattre aussi l’influence des sociétés de bienfaisance catholiques. La mutualité peut assurer des caisses de retraite, les sociétés de secours mutuels collecter les cotisations et prendre en charge le service des retraites. Mais la caisse d'Etat est privilégiée au détriment de la Caisse autonome, les concepteurs de la loi, René Viviani, Alexandre Millerand, tous deux anciens socialistes, estimant que les mutualistes ne sont pas capables de gérer techniquement ce système.

    Jules Guesde et Paul Lafargue estiment que "la société bourgeoise et capitaliste qui crée et favorise l'exploitation du prolétariat doit pourvoir au bien-être et à la subsistance des vieux travailleurs" mais dénoncent en 1901 le projet qui veut rendre obligatoire les cotisations de retraite.

    retraite 1910.jpg

    Le projet dans son ensemble fait d'ailleurs l’objet de vives critiques, venant de tous bords : d'un côté la droite, le monde paysan et le patronat qui dénoncent le coût de la mesure et "l’invitation à la paresse", ainsi que l'Eglise qui craint pour ses sociétés de bienfaisance, de l'autre côté la Mutualité, farouchement attachée à la cotisation volontaire et qui ne veulent pas admettre qu'à eux seuls ils n'ont pas les moyens d'assurer cette retraite, et les anarcho-syndicalistes (Jouhaux, Monatte, Merrheim) de la CGT qui estiment par contre que c'est à l'état de financer les retraites. Ces derniers dénoncent une "retraite pour les morts" compte tenu de l’espérance de vie peu élevée des ouvriers. Les cotisations apparaissent trop élevées pour des salaires misérables, et les pensions versées sont, de surcroît, très modiques. Ce nouveau dispositif est donc assimilé à "une vaste escroquerie étatiste, dont les travailleurs feront tous les frais", où "tous paieront pour cela et, de ce chef, des milliards s'entasseront bientôt dans les coffres de l'Etat" (L'Action syndicale du 3 mars 1910).

    cgt_retraite 1912.jpgPourtant, peu à peu une minorité autour de Jean Jaurès, Edouard Vaillant, Albert Thomas, et Marcel Sembat, bientôt soutenue par les allemanistes et les syndicalistes réformistes, voire quelques guesdistes (Jean Ducasse, Victor Renard, Charles Goniaux ...), en est venu à défendre la loi sur les ROP, tout en la trouvant insuffisante. Tous soulignent l’importance d’inscrire dans la législation le passage de l’assistance au droit, la reconnaissance de la légitime intervention de l’État, le progrès de la socialisation des richesses et le potentiel d’émancipation ouvrière par la gestion des caisses de retraites.

    Edouard Vaillant est favorable à l'assurance obligatoire, toutefois, comme il l'explique à la chambre des députés le 26 mars 1910, il refuse le principe de la retenue sur le salaire ouvrier. Quelques semaines plus tôt, il a fait adopter, par 197 voix contre 157 lors du VIIème congrès de la SFIO, un texte en faveur de la loi et de son amélioration immédiate sur la base de 3 principes : refus de la capitalisation, gestion ouvrière des caisses et abaissement rapide de l'âge de la retraite. En revanche Paul Lafargue s'y oppose au congrès de la SFIO de 1910 et Jules Guesde, à la Chambre des députés le 31 mars, persiste dans son opposition et est le seul député SFIO à voter contre. Comme la CGT, ils demandent que la retraite soit financée par un impôt spécial "n'atteignant que les privilégiés du capitalisme industriel et terrien.". Les autres votent pour ... Il sera toujours temps, considèrent-ils, d'améliorer ce système. Finalement les mutualistes, convaincus par Léopold Mabilleau, s'y rallient aussi.

    huma 19100401_Jaures loi ROP.jpgJaurès écrit dans "l'Humanité" du 1er avril 1910 : "A la presque unanimité, la Chambre a voté hier soir la loi des retraites ouvrières et paysannes. Quels que soient les défauts de la loi que nous avons signalé et que nous corrigerons, c'est chose émouvante de voir consacré ainsi le principe même du droit à la vie et de l'assurance sociale. Ce qui était encore, il y a dix ans, l'utopie lointaine, la chimère raillée, devient par l'effort du prolétariat, par la revendication des travailleurs, la vérité légale, la réalité sociale [...] Dès maintenant, en ce qui concerne la loi même des retraites, notre plan est formé, selon la volonté du Parti, pour l'améliorer et la compléter [...]"

    Avec la loi du 5 avril 1910 qui crée les retraites ouvrières et paysannes, les ROP, pour les salariés gagnant moins de 3 000 francs (ce qui permet d’exempter ceux qui préfèreraient se constituer une épargne en achetant un bien immobilier ...), les salariés peuvent prendre leur retraite à 65 ans et recevoir une allocation viagère de l'Etat. Afin de financer celle-ci, une cotisation est prélevée sur les salaires.

    La mise en œuvre de la loi fait l’objet d’un rapport annuel au président de la république et le suivi est effectué par un conseil supérieur des retraites ouvrières, composé de personnes qualifiées sur le sujet et de hauts fonctionnaires. En 1912, on constate que si près de 7,5 millions de travailleurs peuvent bénéficier de cette loi, ils ne sont en réalité que 2,65 millions à en profiter, les autres n'ayant versé aucune cotisation, d'ailleurs encouragés par les patrons qui ne voulaient pas de cette retraite obligatoire. Ces chiffres vont d'ailleurs décroître dans les années qui suivent.

    La loi de finances du 27 février 1912 donne satisfaction à la revendication syndicale sur l'âge de départ, en abaissant à 60 ans l’âge auquel on pouvait faire valoir ses droits, étant entendu qu’il est possible d’attendre d’avoir atteint 65 ans ... Ce dispositif ne résistera pas à la première guerre et à l'inflation durable, l’employeur n’ayant de plus pas la possibilité d’imposer le prélèvement à ses salariés.

    La loi du 5 avril 1928 et du 30 avril 1930 qui instituent, pour les salariés titulaires d'un contrat de travail, une assurance pour les risques maladie, maternité, invalidité, vieillesse et décès, conserve la disposition d'âge de départ acquise en 1912.

    La loi du 14 mars 1941, relative à l’"allocation aux vieux travailleurs salariés", comporte une réforme majeure. En effet l'érosion monétaire ne permet plus de préserver le pouvoir d'achat des retraités, ce qui conduit à l'abandon du système de la capitalisation au profit de celui de la répartition, qui va permettre de verser rapidement des retraites aux personnes âgées. Mais l'âge "normal" de la retraite reste 60 ans, sauf pour l’allocation spéciale "aux vieux travailleurs français sans ressources suffisantes" qui n’ont pas cotisé assez longtemps ou pas cotisé du tout, qui n'est versée qu'à partir de 65 ans.

    C'est l'ordonnance du 19 octobre 1945 qui, de fait, reculera l'âge de la retraite à 65 ans en minorant les droits acquis à 60 ans à seulement 20% du salaire

    Il faudra attendre les deux ordonnances du 26 et du 30 mars 1982 pour revenir à l'âge de la retraite à 60 ans, avec une pension à taux plein pour 37 ans et demi de cotisation.

    En repoussant l’âge de la retraite à 62 ans, le gouvernement a donc renié un acquis si longuement attendu par les salariés.

  • Aujourd'hui 5 octobre, l’hebdomadaire de la CGT "la vie ouvrière" fête ses 100 ans.

    100 ans VO.jpgEn 1909, la CGT a quatorze ans. Fondée au congrès de Limoges en octobre 1895, elle avait un hebdomadaire, la Voix du peuple. Mais elle est divisée, ses militants sont pourchassés par la police de Clemenceau.

    C'est alors qu'un ancien anarcho-syndicaliste, Pierre Monatte, s'associe avec quelques amis pour créer une revue d'information et de réflexion, paraissant le 5 et le 20 de chaque mois, dans le but de "donner à l'ouvrier la science de son malheur".

    Voici ce qu'il écrivait le 5 octobre 1909 dans sa " Lettre familière aux cinq mille abonnés possibles qui recevront ce numéro"

    Que veut être cette revue ? allez-vous vous demander à la réception de ce premier numéro.

    La Vie Ouvrière sera une revue d'action. Une revue d'action ? Parfaitement ; si bizarre que cela puisse sembler. Nous voudrions qu'elle rendît des services aux militants au cours de leurs luttes, qu'elle leur fournisse des matériaux utilisables dans la bataille et dans la propagande et qu'ainsi l'action gagnât en intensité et en ampleur. Nous voudrions qu'elle aidât ceux qui ne sont pas encore parvenus à voir clair dans le milieu économique et politique actuel, en secondant leurs efforts d'investigation.

    Nous n'avons ni catéchisme ni sermon à offrir. Nous ne croyons même pas à la toute puissance de l'éducation ; car nous croyons que la véritable éducatrice c'est l'action.

    Les camarades qui se sont rencontrés autour de la Vie Ouvrière - et en forment le noyau - ne partagent pas toutes les mêmes opinions. Il en est qui appartiennent au Parti socialiste et y militent activement ; d'autres consacrent tout leur temps et toute leur activité au mouvement syndical - c'est la majorité - ; d'autres, enfin, sont anarchistes et ne s'en cachent nullement. Mais tous, nous sommes unis sur le terrain syndicaliste révolutionnaire et nous proclamons nettement antiparlementaires. Tous aussi, nous croyons qu'un mouvement est d'autant plus puissant qu'il compte davantage de militants informés, connaissant bien leur milieu et les conditions de leur industrie, au courant des mouvements révolutionnaires étrangers, sachant quelles formes revêt et de quelles forces dispose l'organisation patronale, et... par dessus tout ardents !

    C'est pour ces militants que nous avons fondé la Vie Ouvrière et c'est eux qui en rédigeront la plus forte partie, parlant, au fur et à mesure des événements, de ceux auxquels ils auront été mêlés. Ainsi se produira un échange extrêmement profitable de connaissances précises sur chaque région, sur chaque industrie.

    Dans ce premier numéro, on lira une étude de Schmitz, le secrétaire du syndicat de la maçonnerie de la Seine, sur la dernière grève des maçons parisiens. Dans le prochain, le commencement d'une grosse monographie sur la grève des Boutonniers de l'Oise par le comité exécutif des Tabletiers de l'Oise et un article de H. Normand sur le Congrès des Maîtres-Imprimeurs. Dans les suivants, dés études de Merrheim sur les sardiniers bretons ; de Savoie sur la sup­pression du Travail de Nuit dans la Boulangerie ; de P. Marie sur le Subventionnisme et les Syndicats ; de G. Yvetot sur les unions régionales de syndicats ; de L. Monnier sur le Lock-Out des verriers de Normandie ; de Villeroux sur la grève des chapeliers de la région d'Espéraza ; de Bled sur la grève des maraîchers de Seine-et-Oise ; de Paul Ader sur le Trust du Vin ; de Humbert sur les grèves de coupeurs en chaussures. à Nancy et le rôle de l'« United Shoë Machinery » ; de G. Dumoulin sur les Conventions d'Arras ; de Maraux sur la grève des typos de 1906 ; de Ch. Delzant sur la suppression du Travail de Nuit dans la Verrerie ; de L. Vignols sur les Terre-Neuviens, etc., etc.

    À côté de ces monographies de grèves et de ces études de questions syndicales ou économiques, nous ferons une large place aux questions morales, aux questions d'éducation, d'hygiène, etc.

    Picton, qui est instituteur, parle dans ce numéro des progrès que fait parmi les instituteurs l'idée de l'adaptation de l'enseignement primaire aux besoins de la classe ouvrière. Cette idée nous est chère. Au prochain numéro, Léon Clément examinera les essais d'éducation de l'enfance tentés dans les groupes anarchistes, les syndicats, les coopératives. Puis, puis... bien des choses sur ces sujets qui nous sont promises et d'autres qui ne le sont pas catégoriquement encore.

    Nous nous faisions une joie de publier dans ce premier numéro un récit des événements de Barcelone qu'Anselmo Lorenzo, sur la demande de notre ami James Guillaume, avait promis d'écrire. Lorenzo, malheureusement, fut par la suite arrêté et emprisonné. Pour remédier à cette lacune, Cratès qui déshabillera pour nous les questions diplomatiques et en montrera le corps économique, nous a donné une étude d'un gros intérêt sur les dessous financiers de la guerre au Maroc et nous en donnera une nouvelle pour le prochain numéro sur l'explosion populaire qui répondit à la levée de troupes en Catalogne.

    Nous publierons, dans les numéros suivants, des articles de Wintsch sur la levée du boycott Vautier qui a mis aux prises, en Suisse, révolutionnaires et réformistes ; de Chr. Cornelissen sur l'orientation générale du syndicalisme ; d'un camarade suédois sur le lock-out de Suède ; de Brupbacher, sur le syndicalisme à Zurich, etc.

    Nous tâcherons, en somme, de faire de la Vie Ouvrière une revue intéressante et vraiment précieuse pour les militants ouvriers.

    Il faut qu'elle vive ! Il importe pour cela de recueillir 1000 abonnés.

    Jamais vous n'y parviendrez, nous ont dit des amis pessimistes : on ne lit pas dans les milieux ouvriers ; ou bien on ne lit que ce qui est bruyant et épicé. Or vous ne serez ni l'un ni l'autre. Puis, c'est une somme : dix francs par an !

    Des camarades au courant de la librairie nous ont dit, eux : dix francs par an, une revue de 64 pages tous les quinze jours ; mais vous êtes fous ! Vous avez donc de l'argent à jeter à la rue ?

    Nous ne sommes pas optimistes ; nous ne sommes pas fous ; nous n'avons pas d'argent à jeter dans la rue. Et nous savons que nous n'atteindrons jamais qu'un public restreint. Mais ce public de militants, de sympathiques, d'hommes désireux de s'informer viendra sûrement à nous si nous lui présentons une revue sérieusement documentée, vivante, passionnée même.

    Nous y travaillons à une demi-douzaine de camarades depuis deux mois ; d'autres ne nous ont pas ménagé leur concours occasionnel ; que ceux qui le peuvent se joignent au noyau. Que les autres nous aident dans la mesure de leurs moyens et du temps dont ils disposent. Que chacun s'efforce et la Vie Ouvrière reflétera exactement notre vie sociale si tumultueuse, si riche de force et d'espoir ; et la Vie Ouvrière atteindra son 1000e abonné, bouclant son budget, ne demandant à chacun pour vivre que le montant de son abonnement.

    Pour le « noyau » : Pierre Monatte


    Monatte a raconté ce que fut La Vie ouvrière dans La Révolution prolétarienne (octobre, novembre, décembre 1959, janvier 1960 - à lire sur http://www.fondation-besnard.org/article.php3?id_article=155). Ce furent ses derniers articles avant sa mort

    On peut aussi retrouver les articles des 8 premiers numéros sur http://www.la-presse-anarchiste.net/spip.php?rubrique56

    Enfin le très beau livre Un siècle de Vie ouvrière qui arbore, en couverture, une photo de Willy Ronis, retrace les 100 ans de la "VO".